ZATAZ » Russie : une liste blanche pour l’internet mobile en cas coupure de connexion !

Le ministère russe du Développement numérique a conçu, avec les services de sécurité et les opérateurs, une architecture d’exception qui garantit l’accès à certains services russes lorsque l’internet mobile est coupé pour des raisons de sécurité. Banques, places de marché, sites gouvernementaux, services de livraison, réseaux sociaux et grandes plateformes vidéo composent ce socle numérique présenté comme indispensable à la vie quotidienne et au fonctionnement des infrastructures critiques. Cette liste blanche, en constante extension et réservée aux services hébergés sur le territoire, redessine concrètement la frontière entre continuité des services essentiels, contrôle des flux d’information et souveraineté numérique. Ses critères d’accès restent étroitement encadrés.
Une continuité numérique sous contrôle de l’État
À l’origine de ce dispositif, le ministère du Développement numérique, des Communications et des Médias a posé un principe simple mais structurant : même lorsque l’internet mobile est volontairement restreint pour des motifs de sécurité, certains services russes doivent rester joignables. Autrement dit, l’interruption devient sélective, non plus totale, ce qui permet à l’État de conserver un levier très fin sur ce qui reste accessible ou non pour les citoyens et les organisations.
Un mois avant la publication de la première liste, en marge de la conférence Évolution numérique, le ministre Maksut Shadayev avait préparé le terrain. Il expliquait que son ministère, avec les régulateurs, avait élaboré une solution technique permettant de maintenir l’accès à un ensemble de services même en cas de limitation de l’internet mobile. Le périmètre évoqué était très large : services bancaires, grandes places de marché, acteurs de la livraison et du taxi, ainsi qu’un ensemble de solutions M2M indispensables, notamment pour les distributeurs automatiques et les terminaux de paiement. Le ministre parlait déjà de services « essentiels à la vie », expression qui sert de justification politique autant que de critère opérationnel.
Une première version de la liste avait été finalisée. Elle rassemblait alors les ressources les plus fréquentées et jugées incontournables pour la société russe. On y trouvait les portails d’État, des sites de la présidence et du gouvernement aux services en ligne Gosuslugi et à la plateforme de vote à distance. Le cœur financier était représenté par plusieurs grandes banques, parmi lesquelles Sberbank, T-Bank, Gazprombank et Alfa Bank. L’écosystème commercial et numérique était assuré par Ozon, Wildberries, les principaux services Yandex, les réseaux sociaux VK et Odnoklassniki, ainsi que des plateformes connues comme Avito, le site de l’enseigne Magnit, Rutube ou encore Kinopoisk.
Cette architecture ne se limite pas aux contenus grand public. Elle inclut aussi les sites des quatre principaux opérateurs mobiles, de manière logique, puisqu’ils deviennent l’ossature technique de la mise en œuvre : ce sont eux qui filtrent, autorisent ou bloquent l’accès selon la politique décidée par l’État. On voit, en rapprochant ces éléments, se dessiner une hiérarchie des services jugés vitaux pour la continuité économique, sociale et institutionnelle, dans laquelle les réseaux sociaux russes côtoient les banques et les services d’administration en ligne.
La première liste officiellement accessible avec un internet mobile restreint est publiée le 5 septembre. Le 8 septembre, l’ensemble des opérateurs mobiles fédéraux ouvrent l’accès à ces ressources, tout en ajoutant parfois leurs propres priorités. Ce déploiement simultané, mais modulé par chaque opérateur, montre que le dispositif repose sur un cadre central, mis en musique par des acteurs privés qui conservent une marge d’ajustement limitée.
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Les opérateurs télécoms, bras armé du filtrage
Du côté des opérateurs, la « liste blanche » ne reste pas un simple document administratif. MegaFon et VimpelCom indiquent à la presse locale avoir implémenté l’accès prioritaire aux services validés par le ministère. VimpelCom ajoute un élément intéressant : au-delà des ressources exigées, l’opérateur maintient la messagerie MAX. Cette décision illustre la zone grise entre obligation réglementaire et choix commercial. L’opérateur se conforme à la liste officielle tout en protégeant un service qu’il estime critique pour ses abonnés.
T2, autre opérateur fédéral, annonce quelques heures plus tard qu’il respecte à son tour la liste, mais en l’adaptant. Sa version coïncide largement avec celle fournie par le ministère, mais y ajoute la plateforme Zen. Là encore, cette inclusion révèle l’importance accordée par certains acteurs à des services de contenu qui structurent la consommation d’information et de divertissement des utilisateurs. Quand un opérateur choisit d’inclure spontanément une plateforme, cela signale qu’il la considère, de facto, comme socialement essentielle, même si ce statut n’est pas encore formalisé par les autorités.
La notion de compromis mérite d’être détaillée. D’un côté, les abonnés, qui ont vécu des épisodes de perturbations de l’internet mobile, doivent pouvoir continuer à payer, se déplacer, commander, communiquer avec l’administration et utiliser les outils de base de la vie quotidienne. De l’autre, les autorités veulent conserver la capacité de couper rapidement les canaux jugés à risque, notamment pour le maintien de l’ordre ou la maîtrise de l’information. Ce dispositif de liste blanche permet de concilier ces deux impératifs. Par construction, il laisse visibles les segments du réseau considérés comme neutres ou nécessaires, tout en éteignant les autres.
T2 évoque enfin un suivi des retours utilisateurs et la possibilité d’élargir à terme la liste des ressources accessibles. Cette mention, associée au fait que les listes sont déjà révisées à plusieurs reprises, montre que l’architecture mise en place n’est pas figée. Elle s’apparente plutôt à un instrument modulable, capable d’intégrer de nouveaux services, au fil des priorités politiques, économiques ou sécuritaires.
Vers un écosystème numérique trié, coordonné avec les services de sécurité
Une deuxième étape franchie par le ministère du Développement numérique confirme la dynamique d’extension. L’institution annonce l’élargissement de la liste blanche à 57 services. Cette nouvelle vague de ressources comprend non seulement les acteurs déjà visibles, comme les banques, plateformes d’e-commerce et réseaux sociaux, mais aussi des médias et des sites de recrutement. Ici, l’approche devient plus systémique : l’objectif affiché est de préserver l’accès à un noyau d’information et de services économiques à l’échelle du pays, même en cas de coupure temporaire de l’internet mobile pour des raisons de sécurité. Cette nouvelle mouture inclut davantage de banques, de commerçants en ligne et de plateformes, ainsi que des médias influents comme Komsomolskaya Pravda, RIA Novosti, Lenta.ru, RBC, Banki.ru ou IXBT, mais aussi des services de recrutement et le site du bookmaker Fonbet. En reconstituant cette séquence, on observe une tentative de décrire un paysage numérique « protégé » suffisamment vaste pour couvrir finance, information, commerce et loisirs.
La méthode d’inscription est, elle aussi, encadrée. Le ministère souligne que l’ajout d’un service ne peut se faire que par des voies officielles, aucune procédure informelle ou alternative n’étant proposée. Tous les serveurs et les ressources de calcul des services éligibles doivent être localisés en Russie. Ce critère de territorialisation technique matérialise la dimension de souveraineté numérique : un service dépendant d’infrastructures hors du territoire n’entre pas dans le périmètre de protection. La décision d’inclure une ressource est prise en concertation avec les agences chargées de la sécurité, ce qui confirme que la « liste blanche » fonctionne comme un instrument conjoint entre appareil administratif, télécoms et structures de renseignement.
En quelques étapes, la Russie a donc construit un dispositif de filtrage inversé : au lieu de définir ce qui doit être bloqué, l’État définit d’abord ce qui doit impérativement rester accessible lorsque l’internet mobile est coupé. Ce mécanisme organise, en creux, un internet à plusieurs vitesses, où l’accès aux services jugés non essentiels peut être suspendu sans interrompre totalement la vie économique, sociale et institutionnelle. Avec des critères d’inclusion liés à la popularité, à l’hébergement sur le territoire et à la validation par les services de sécurité, la liste blanche devient un outil stratégique au croisement de la cybersécurité, de la souveraineté numérique et du contrôle de l’information. Reste à savoir jusqu’où ce modèle d’exception deviendra, à terme, une norme de gestion des réseaux en situation de crise.
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